GPO V2 HFMmm 26/03/2020 (2024)

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La China Station amarrée au port de l'île de Hong Kong.

The Pearls of Asia

Le gouvernement du vicomte de Melbourne avait toujours travaillé à libéraliser le Royaume-Uni. Cependant, l'Angleterre ne pouvait assumer la vision d'Adam Smith seule, le monde devait embrasser le libéralisme avec elle. C'est pourquoi le cabinet libéral avait été emprunt à la guerre dans les années 1830, en particulier à partir de 1836, quand le gouvernement soutint les nombreuses entreprises militaires de la Compagnie des Indes. Suite à sa victoire aux élections de 1838, Melbourne prévoyait de poursuivre cette politique commerciale agressive. Trop longtemps l'Asie était restée fermer aux marchands européens, notamment le grand empire chinois des Qing. L'isolationnisme autarcique de la Chine penchait la balance commerciale en défaveur des Britanniques, tandis que les voisins de celle-ci, comme le shogunat des îles du Japon ou l'empire d'Annam refusaient tout contact avec les marchands de Grande-Bretagne excepté lors de rares occasions. Le premier ministre de Sa Majesté s'engagea à ouvrir les ports d'Asie aux produits d'Angleterre, contre leur gré si nécessaire. Les conséquences des guerres qui marquèrent les dernières années Melbourne bouleverseraient à jamais le destin de l'Extrême Orient au rythme de la canonnière et des fumettes d'opium... La période Melbourne serait retenue pour son expansion belliqueuse en Asie, mais celle-ci causerait finalement la perte du Premier Ministre, insoucieux des troubles secouant la métropole.

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Une pièce de monnaie de la Compagnie Britannique des Indes Orientales, frappée en 1835.

Below the Sun of the Indian Summer.

29 novembre 1838, alors que la campagne pour les élections nationales attirait toute l'attention en métropole, le premier ministre Melbourne promulgua ce qui aurait pu être l'une de ses dernières décisions. Le Gouvernement de Sa Majesté la reine Victoria approuva les motivations de guerre de la Compagnie des Indes à l'encontre du petit royaume de Makran. Les causes étaient louables, le Makran avait été un vassal de jure des Khans de Kalat, désormais dépendants de la Compagnie, et le Makran constituait un enjeu de la rivalité entre Russes et Britanniques, étant potentiellement une route d'invasion de l'Empire des Indes depuis la Perse.
La guerre ne commença qu'en février 1839. Un régiment de ligne de 300 hommes mené par le général Napier fut accompagné de 3000 irréguliers Brahouis du Kalat. Ils pénétrèrent le Makran avec aise avant de rencontrer une armée indisciplinée à Kech le 16 mars. L'affrontement dura quelques heures, faisant 64 pertes du côté britannique et 709 du côté baloutche, complétant une victoire britannique totale. L'armée des Indes entama ensuite un siège autour de Turbat, la capitale, où l'émir s'était réfugié. D'âpres combats prirent place mais les murs cédèrent au bout d'une semaine, sous un assaut mené par le général Napier en personne. La cité tomba et l'émir annonça sa reddition et déposa son sabre au pied de Charles Napier. La Compagnie lui laissa son titre et ses terres, mais il repassa sous la tutelle des khans de Kalat et fut par conséquent placé sous l'autorité de la couronne britannique.

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Assaut des murs de Turbat par les grenadiers de la Compagnie des Indes Orientales.

Dans sa politique de contrôle des routes commerciales menant à l'Inde, la Compagnie acquit en 1838 du sultan Muhsin bin Fadl de Lahej un lopin de 194 km² incluant le port d'Aden. Ce port devait permettre d'étendre l'influence et la projection commerciale britannique en Mer Rouge en plus de sécuriser cet accès vers l'Inde. Cependant, la présence de pirates représentait un soucis majeur dans la région puisqu'elle perturbait les échanges dans le golfe. Le 8 juin 1839, sous la pression de la Compagnie, le nouveau gouvernement du vicomte de Melbourne dépêcha l'envoie d'un corps de Marines à Aden pour réclamer la concession et réprimer les pavillons noirs. Cette action déplut au sultan Mushin qui exigea le renvoie des tuniques rouges, mais Londres demeura intransigeante. Craignant une attaque surprise des Yéménites, la Compagnie déclara hâtivement la guerre le 20 juin au Lahej, sans le consentement du Parlement. La désobéissance du gouverneur-général suscita des tensions dans la Chambre des Communes, mais les parlementaires ne pouvaient pas demander à la Compagnie de faire marche arrière sans risquer de la décrédibiliser et de l'humilier sur la scène internationale. Londres décida alors de soutenir le conflit en détachant une escadre de la Cape Station qui rejoignit les forces de la Compagnie le 9 octobre.
Le sultan était parvenu à rassembler une armée de 6000 bédouins qui firent face aux 2000 fantassins de ligne de l'EIC et aux 500 Marines de la Royal Navy. Un bombardement naval neutralisa les défenses côtières et le débarquement commença. L'engament fut féroce. Le bruit sourd des canonnades accompagnait le chant des tambours. Finalement, le sultan se retira en fin d'après-midi. On déplora 2527 pertes pour les Yéménites contre 670 pour les Britanniques. Le courage des Marines joua un grand rôle dans la percée des lignes de défenses tenues par les Bédouins.
Le 21 novembre, après quelques escarmouches, le sultan Muhsin bin Fadl se rendit. Il dut concéder Aden et ses 194 km² à l'EIC et payer des réparations de guerre. De plus, la Compagnie recevait le droit d'opérer dans les eaux du golfe longeant les côtes du domaine du sultan si des pirates y étaient aperçus. Cette expédition renforçait l'emprise britannique sur le golfe d'Aden et ouvrait la voie pour de nouvelles opportunités.

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Peinture contemporaine montrant des navires britanniques engageant les batteries d'artillerie du fort de Sira.

Peu après la fin du conflit en extrême orient [cf post A Scent of Opium], la Compagnie des Indes redirigea ses efforts dans la conquête du sous-continent indien. Le 14 février 1841, on apprit qu'un soulèvement avait eu lieu dans l'empire sikh. Les indigènes s'étaient révoltés contre les produits britanniques, en particulier le commerce d'opium, qui fragilisait leur société et envoyait de nombreux individus au chaumage. Le pic de ces contestations se propagea dans la capitale sikh, Lahore, où plusieurs milliers de personnes attaquèrent le consulat britannique et les entrepôts de la Compagnie. Cette-dernière fit savoir son indignation mais le Maharajah Ranjit Singh offrit ses plus nobles excuses pour apaiser les tensions. Des indemnités furent versées par tranche jusqu'à sa subite mort le 8 juillet. Avec la mort de Ranjit Singh, le trône de l'empire sikh demeurait vacant, et le vide laissé derrière la mort du souverain ne fut pas facilement comblé. L'héritier du Maharajah était en effet mort de façon suspecte en quelques mois, tout comme l'héritier qui le suivait, tout cela à cause des luttes intestines entre les princes et de la noblesse pendjabi qui luttaient pour maintenir le pouvoir. Alors que les Sikhs affluaient vers la frontière britannique, il semblait que la Compagnie serait inévitablement entraînée dans le conflit - et certains pensaient que le moment était peut-être idéal pour frapper.

La Compagnie décréta le renforcement de ses frontières avec le Pendjab et on gonfla les effectifs de l'armée du Bengale. Ce fut sans surprise que les tensions escaladèrent, les Sikhs étant très méfiants des Anglais depuis l'annexion du Sindh, et les Britanniques redoutant - officiellement - que la grande armée sikh sombre dans la sauvagerie à cause des irrégularités de payements par le gouvernement de Lahore. Quand un affrontement éclata à la frontière entre une patrouille britannique et des cavaliers ghodachadas, la Compagnie des Indes déclara la guerre à l'empire sikh avec l'aval de Westminster, rejetant l'agression sur les Sikhs - et désireuse d'achever la conquête de l'Inde. L'armée du Bengale, forte de 2500 cavaliers indiens menés par les 350 lanciers du 16e Régiment des Lanciers de la Reine, de 3 batteries d'artillerie et de 14'250 fantassins dont 5000 Britanniques traversa le fleuve Sutlej le 8 août 1841. Le 13 s'engagea la bataille de Mukdi qui fut un véritable défis pour l'EIC à cause de canons sikhs très performants. Lahore avait en effet acheté de l'équipement auprès de privés européens et avait recruté des mercenaires occidentaux pour former ses armées. Le dernier royaume indépendant d'Inde ne serait laisserait pas abattre facilement. On déplora près de 1000 pertes pour les Britanniques contre 6400 chez les Sikhs, et 2021 prisonniers.

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Les régiments britanniques menant l'assaut sur l'artillerie sikh à la bataille de Mukdi.

La grande armée pendjabi se replia sur Ferozeshah. Le général Sir Hugh Gough poursuivit son adversaire avec précaution, offrant le temps à ce-dernier de réorganiser ses troupes et d'aligner plus de 30'000 guerriers indiens de toute confession. Bien que Gough voulut engager immédiatement la bataille, le gouverneur général Sir Henry Hardinge préféra attendre l'arrivée de renforts du maharajah d'Hyderabad. Le souverain hindoue demanda le droit de mener les premiers affrontements, ce qui lui fut acquis pour le 27 août. La bataille, mobilisant plus de 70'000 âmes, fut un véritable torrent de feu et de sang. Près de 10'000 pertes pendjabi, pas loin de 3000 pour les Britanniques et leurs alliés. Ce désastre poussa les Sikhs à se retrancher vers Lahore. Le sort de la guerre se scellerait sur les plaines fertiles du cœur de l'Indus.

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Le corps à corps entre les fantassins sikhs et les régiments de ligne britanniques.

A la surprise des Britanniques cependant, les Sikhs se réorganisèrent rapidement et marchèrent une troisième fois sur les Britanniques le 21 septembre, pour les forcer à la bataille près de Sobraon. L'élite du Pendjab, l'armée sikh Khalsa, composée d'environ 25'000 Indiens déterminés à sauver le dernier bastion du sous-continent affronta le général Gough et ses divisions. Ce-dernier avait été mis au courant d'un mouvement en tenaille et avait détaché les lanciers et quelques régiments repousser la manœuvre sikh. Sham Singh Attariwala attendit plusieurs heures en espérant voir déferler ses contingents sur les arrières anglais, mais quand il comprit que ces-derniers n'arriveraient jamais, il se décida à engager la bataille de front. Celle-ci dura deux jours. Le premier témoigna de l'échec du génie indien avec l'écroulement des ponts en bois sous les sabots des ghodachadas. Le second vit l'arrivée inattendue des lanciers de la Reine qui lancèrent une charge héroïque sur les flancs pendjabi, brisant le moral sikh. La bataille était finie, la voie vers Lahore était ouverte.

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La charge du 16e régiment de lanciers de la Reine le second jour de la bataille de Sobraon.

Les Britanniques posèrent un siège de deux semaines sur Lahore avant que celle-ci ne se rende. Dans le traité de Lahore du 24 octobre 1841, les Sikhs furent contraints de céder la précieuse région (le Jullundur Doab) entre la rivière Beas et la rivière Sutlej. Le Durbar de Lahore était également tenu de verser une indemnité de 15 millions de roupies. Parce qu'il ne pouvait pas facilement lever cette somme, l'empire sikh céda à la Compagnie des Indes orientales tous les forts, territoires, droits et intérêts des pays montagneux situés entre les rivières Beas et l'Indus, soit l'équivalent de dix millions de roupies. Dans un accord distinct ultérieur, le traité d'Amritsar du 20 janvier 1842, le Raja de Jammu, Gulab Singh, acheta le Cachemire à la Compagnie des Indes orientales pour un paiement de 7,5 millions de roupies et reçut le titre de Maharaja de Jammu-et-Cachemire.

Le jeune maharaja Duleep Singh resta souverain du Pendjab et, au début, sa mère, Maharani Jindan Kaur, demeura sa régente. Cependant, le Durbar demanda plus tard que la présence britannique reste jusqu'à ce que le Maharaja atteigne l'âge de 16 ans. Les Britanniques y consentirent et le 16 décembre 1841, le traité de Bhyroval prévoyait que les Maharani recevraient une pension de 150 000 roupies et seraient remplacés par un résident britannique à Lahore soutenu par un Conseil de régence, avec des agents dans d'autres villes et régions. Cela donna effectivement à la Compagnie des Indes orientales le contrôle du gouvernement.

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Remnants of an Army par Elizabeth Thompson, représentant William Brydon, le seul survivant britannique lors de la retraite de Kaboul.

Cependant, en vassalisant le Pendjab, la Compagnie étendait sa frontière sur les montagnes afghanes, une région sauvage et indomptée, couloir entre l'inde britannique et la sphère russe. Pendant un certain temps, il s’avéra que l’Angleterre et l’Afghanistan furent des alliées, notamment en vertu d’un traité signé en 1809 avec le roi Shah Shuja. Celui-ci souhaitait empêcher que l’Inde ne soit envahie par la France ou la Russie. Très rapidement il fut renversé par son demi-frère Mahmud Shah. Shah Shuja ne parvint pas à rallier les sikhs à sa cause, et ce, même en tentant de les corrompre, si bien qu’il dut s’exiler dans le Raj britannique en 1815 où il entretint un puissant lobby probritannique. En Afghanistan, pendant ce temps, Mahmud Shah fut à son tour renversé en 1826 par des membres du clan des Barakzai alors dirigés par l’émir Dost Mohammed Khan. Cet événement inquiéta les Britanniques. En 1837, les Britanniques constatèrent que les Russes fournirent une aide militaire aux forces perses qui assiégèrent la région du Hérat, ce qui les invita à vivement critiquer la soi-disant inhabileté de Dost Mohammed Khan à contenir l’influence militaire et commerciale de la Russie.

Ce fut dans ce contexte que débuta la Première Guerre anglo-afghane le 7 décembre 1841, dont le but était de remplacer Dost Mohammed Khan par son demi-frère Shah Shuja. Les troupes britanniques pénétrèrent dans Kandahar en mars 1842 et elles prirent d’assaut la forteresse de Ghazna en mai, après laquelle Kaboul tomba à son tour sans affrontement au mois de juin.

Shah Shuja revint à nouveau sur le trône, mais il était évident que sa mainmise du pouvoir dépendait entièrement de la présence militaire britannique dans son royaume. De son côté, Dost Mohammed Khan avait tenté pendant un certain temps d’organiser la résistance, mais il fut fait prisonnier par une patrouille britannique et contraint de s’exiler en Inde. Son arrestation et son départ d’Afghanistan n’empêchèrent pas ses partisans, dirigés par son fils, d’infiltrer les sphères du pouvoir afghan, en particulier dans Kaboul.

Pendant ce temps, les Britanniques lancèrent une expédition sur Hérat pour repousser les Perses et les forcer à signer la paix avec les Afghans. La ville avait jusqu'ici tenu grâce à l'aide d'un Britannique du nom d'Eldred Pottinger. CSous la pression anglaise, les Perses acceptèrent de lever le siège et se retirer en Iran. Leurs conseillers russes furent renvoyés à la demande de Londres. L'expédition rentra en Inde en passant par des routes afghanes trop calmes.

Une émeute éclata dans Kaboul quelques jours après, dans laquelle le Résident britannique Sir William MacNaughten et Shah Shuja furent tués.Pour ne rien arranger, la garnison britannique dans Kaboul fut coincée dans son propre camp, si bien qu’elle ne put attaquer ni tenir son terrain. L’ordre fut alors donné de battre en retraite, ce que firent les soldats britanniques à travers les montagnes enneigées, le 6 janvier 1843. L’expulsion de Kaboul n’était rien en comparaison du désastre qui allait atteindre les Britanniques. Leur petite force composée de 4,500 soldats et de 12,000 accompagnateurs menée par le général Elphinstone fut anéantie par les rebelles afghans avant qu’elle n’ait pu atteindre l’avant-poste britannique situé à Jalalabad, lors de la bataille de Gandamak. Le 13 janvier au matin, 45 soldats et 20 officiers survivants furent encerclés en haut de la colline de Gandamak. Ils furent tous tués, sauf deux ou trois soldats capturés et six officiers qui s'échappèrent à cheval. A la fin, William Brydon, un médecin anglais fut le seul survivant de la retraite de Kaboul.

Au printemps de la même année, les Britanniques voulurent prendre leur revanche et ils dépêchèrent un autre contingent aux effectifs plus importants afin de brûler et piller Kaboul, mais il était évident qu’ils ne pourraient plus, du moins à court terme, y installer un gouvernement fantoche. Les Britanniques se retirèrent complètement d’Afghanistan et ils n’engagèrent plus aucune opération militaire sur la frontière nord-ouest

Les campagnes de la Compagnie des Indes Orientales sous le second cabinet Melbourne furent très intenses, en 1843, la Compagnie avait étendu son influence jusqu'en Afghanistan. Mais la plupart de ces conflits passèrent quasiment inaperçus tant en métropole qu'en Europe, ils étaient éclipsés par la terrible guerre qui ébranlait les mers de Chine...

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Indiaman gorgé d'opium de la compagnie Jardine Matheson transportant ses cargaisons illégales dans des barques à destination de Canton.

A Scent of Opium

En 1839, l’empire du Milieu était fermé au commerce international, à l’exception de comptoirs exigus à Canton, où les négociants étrangers, principalement britanniques, n’avaient de relations d’affaires qu’avec la corporation des marchands chinois, le Qo-Hong. Bouleversée par la révolution industrielle, l’Angleterre frappait en vain à la porte. Elle achetait d’importantes quantités de thé, que seule la Chine produisait alors, contre des tonnes d'argent métal importés d'Amérique latine, ce qui rendait le commerce chinois très déficitaire pour les Anglais. Mais depuis 1773, le Royaume-Uni avait obtenu le monopole de la vente d'opium en Chine. Ce trafic de drogue à grande échelle se révélait particulièrement lucratif pour les Britanniques, qui en vendaient plusieurs milliers de tonnes chaque année en lingots d'argent, récupérant ainsi le précieux métal précédemment cédé dans le commerce du thé. Affaibli, le pouvoir chinois ne parvenait pas à s'opposer au trafic, même s'il avait interdit la culture du pavot en 1800. Cela ne mit fin au commerce de la drogue, celle-ci étant importée d'Inde par les Britanniques. Au début des années 1820, la balance commerciale avec l’Occident s’était inversée au détriment de la Chine, en raison de l’importation massive d’opium, introduit en fraude par des commerçants anglais et américains. Entre 1800 et 1838, la vente d'opium passa de 100 tonnes à 2600 tonnes, le commerce britannique en Chine était devenu excédentaire. L’Angleterre libérale de Melbourne était bien décidée à saisir le moindre prétexte pour ouvrir sans restriction le pays non seulement à la drogue, en provenance d’Inde notamment, mais aussi aux cotonnades du Lancashire et à la quincaillerie de Birmingham. La destruction de caisses d’opium d'une valeur de 1000 tonnes qui appartenaient à des négociants anglais résidant à Canton par le vice-roi Lin Zexu, en juin 1839, fournit le prétexte attendu pour déclencher les hostilités. C'est ce qu'on appela l'incident de Kowloon. Au nom de la défense du commerce, Lord Melbourne convainquit le Parlement britannique d’envoyer un corps expéditionnaire à Canton en 1840, déclenchant du même coup la première guerre de l’opium.

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Lin Zexu déversant les cargaisons d'opium dans la baie de Canton.

Après quelques escarmouches entre navires britanniques et jonques chinoises, une armada britannique fut mise sur pied en avril 1840 : 16 vaisseaux de ligne, 4 canonnières, 28 navires de transport, 540 canons et 5'000 hommes. Sous le commandement de l’amiral Elliot, ils arrivèrent au large de Canton en juin 1840. Un croiseur britannique bombarda Canton et occupa l’archipel voisin de Zhoushan (incident d’où est tiré le terme de « diplomatie de la canonnière »). Les Britanniques attaquèrent Canton mais sans succès, car Lin y avait fait planter des pieux retenus par des chaînes dans le port pour empêcher les bateaux d’accoster. Les Britanniques conquirent alors l'avant-poste de Hong Kong et en firent une tête de pont. En mai, 15'000 fantassins (dont 10'000 Cipayes) et 320 canons arrivèrent en renfort depuis l'Inde. Les combats commencent réellement en juillet, quand les HMS Volage et HMS Hyacinth défirent 29 jonques chinoises. Les Britanniques capturèrent le fort qui gardait l’embouchure de la rivière des Perles avant de s'avancer vers Canton. La cour chinoise prit peur. Lin Zexu tomba en disgrâce et il fut remplacé par un aristocrate, Qishan. Des négociations débutèrent mais Qishan refusa les conditions des Britanniques. L'armée anglaise mit alors le siège sur la ville qui perdura deux semaines, au termes desquelles le gouverneur se rendit, constatant avec effroi les brèches éventrant de part et d'autre l'enceinte de Canton. Une seconde conférence de paix fut organisée, et cette fois ci Qishan accepta l'offre anglaise. Les Britanniques revendiquèrent la reprise du commerce avec le Royaume-Uni, le remboursem*nt des stocks d’opium détruits et la suzeraineté sur Hong Kong. Les conditions furent transmises à Pékin. L'empereur, pensant que la paix ne concernait que le commerce, plongea dans une colère noire et rejeta le traité de Chuanbi, puis destitua Qishan avant de formellement déclarer la guerre aux Britanniques le 29 janvier 1841. L’empereur remplaça Qishan par Yishan et ce-dernier mena une armée mandchoue de 33'000 hommes pour repousser les Anglais hors de Chine.

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Le corps expéditionnaire britannique débarquant à Canton.

En 1841, les forces britanniques occupèrent la région autour de Canton, puis prirent la ville voisine de Ningpo et le poste militaire de Chinhai dans l'embouchure du Yangzi Jiang, près de Shanghai. Dans la province de Canton, les Britanniques se rendirent vite maîtres des endroits stratégiques. Yishan mit plusieurs semaines à arriver à Canton. Le 6 mai, 33'000 Chinois affrontèrent le corps expéditionnaire britannique qui alignait 24'000 soldats. La bataille fut effroyable pour les Qing. Les salves et les volées de l'Occident brisèrent en quelques heures les formations chinoises. La victoire était dans le camp anglais, mais la bataille se poursuivit avec la charge des dragons et des cuirassiers qui balayèrent les colonnes de fuyards. Le soir, on déplora plus de 2'000 morts et 5'000 blessés, ainsi 4859 prisonniers pour les Chinois, contre seulement 69 morts et 856 blessés (principalement des Cipayes) pour les Britanniques. L'éclatante victoire de Canton, un désastre pour les Chinois, ébranla la cour impériale, mais une autre nouvelle, celle de la prise de Nankin dans un assaut surprise lancé le 12 mai par les Marines de la Royal Navy entraîna la capitulation de l'empereur.

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La bataille de Canton le 6 mai 1841.

Les négociations se tinrent à Nankin sous pavillon britannique. Le 15 mai 1841, les représentants de la Cour impériale signèrent à bord du HMS Cornwallis le fameux traité de Nankin avec le diplomate Henry Pottinger. Ce traité fut complété par la suite par deux autres traités conclus le 28 juillet 1842 et le 8 octobre 1842. Ces trois traités reconnaissaient aux Britanniques les droits suivants :

1re clause :

la cession de Hong Kong qui deviendra une place militaire et économique

2e clause :

cinq ports sont ouverts : Xiamen, Canton, Fuzhou, Ningbo et Shanghai. Les Britanniques obtiennent le droit de s’installer dans ces ports et d’y vivre avec leurs familles (pour les marchands). Le traité de Humen autorise la construction d’édifices dans ces ports.

3e clause :

indemnités de guerre (frais + opium) : 21 millions de yuans, soit 1/3 des recettes du gouvernement impérial, à verser selon un échéancier de quatre ans.

4e clause :

douanes : les commerçants britanniques sont assujettis au paiement de droits sur les importations et exportations ; le montant est désormais fixé par les Chinois et les Britanniques et ces-derniers n'ont plus à passer par le Qo-hong.

5e clause :

droit de la juridiction consulaire : en cas de litige entre un Chinois et un Britannique, une juridiction britannique tranchera sur la base des lois britanniques.

6e clause :

la nation la plus favorisée : si la Chine signe un traité avec une autre puissance, le privilège accordé à la nation en question sera également accordé au Royaume-Uni.

7e clause :

l'ouverture des royaumes tributaires d'Indochine : l'empire Qing autorise les marchands Britanniques, en particulier la Compagnie des Indes Orientales, à commercer avec ses états tributaires en Indochine, avec la garantie de jouir des mêmes privilèges qu'en Chine.

La victoire facile des forces britanniques, dirigées par le général Henry Smith, affecta gravement le prestige de la dynastie Qing et contribua au déclenchement de la rébellion Taiping plusieurs années plus tard. L'aura du Royaume-Uni elle s'en sortait plus éclatante que jamais, et la position commerciale du royaume en Asie se trouvait grandement renforcée, au désarroi des Français de plus en plus distancés dans la course à l'hégémonie.

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La colonisation de la Nouvelle-Zélande.

Our Promised Lands.

En 1839, les Voortrekkers qui avaient parcouru vers l'est les terres zouloues étaient parvenus à un accord surprenant avec les indigènes: ils avaient jalonné des frontières permanentes pour leur nouvelle colonie, et l'avaient fait dans une paix relative. La vraie question restait de savoir si Londres autoriserait la tenue de cette nouvelle République de Natalia. Les Boers étaient considérés comme des sujets britanniques, après tout, et leur existence attirerait sans aucun doute plus de Boers à leurs côtés ... constituant peut-être une menace pour les ambitions africaines de la Grande-Bretagne.
Mais la même année, une terrible bataille survint entre les Boers et les Zoulous, brisant l'utopie d'une cohabitation pacifique. La bataille de Blood River fut une cinglante défaite pour les indigènes mais saigna aussi les Boers. Affaiblie, la république de Natalia devint rapidement la cible des autorités britanniques de la colonie du Cap qui ne reconnaissaient ni les institutions, ni même l'indépendance de la république. Un contingent de 237 Britanniques fut envoyé occupé Port-Natal. L'opération fut un succès, mais les Boers rassemblèrent une nouvelle armée. Devant la menace, des renforts furent dépêchés à bord de la Cap Station. Commandé par le colonel Josias Cloete, le contingent, désormais de 800 hommes, pénétra à l'intérieur des terres le 10 octobre et repoussa les escarmouches boers. Admettant la vanité de la poursuite du conflit, les Boers acceptèrent de se soumettre à la souveraineté britannique. Le 15 juillet 1840, le volksraad de Pietermaritzburg signa les conditions de sa reddition. La république de Natalia fut dissoute, et son territoire devint le 4 mai 1841 la colonie britannique du Natal.
Pendant ce temps, de nombreux colons britanniques s'installaient au nord de la colonie du Cap, dans des zones tout jute revendiquées par la couronne. Les autorités coloniales décidèrent alors de renforcer la présence britannique dans la région et d'instaurer une nouvelle administration pour accompagner les colons, afin d'éviter la création d'une autre république indépendante comme au Natal. C'est ainsi que fut fondée la ville de Calvinia, étendant par la même les frontières du Cap jusqu'aux berges du fleuve Orange.

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Les colonies britanniques du Cap et du Natal en 1842..

Désireux de débarrasser définitivement l'océan indien de l'influence française, un commerçant du nom de Henry Folkord convainquit lord Melbourne de mener une expédition dans les Comores, îles stratégiques sur la route des Indes entre l’Afrique australe et Madagascar. L'archipel était hautement convoité par la France qui avait déjà mené des missions d'exploration sur les îles. Londres, craignant une main mise française sur cette voie maritime capitale, concéda aux demandes d'Henry Folkord, surement motivé par le discours alarmant du petit marchand anglo-argentin. Deux frégates transportant 169 soldats arrivèrent près des plages de sable blanc le 13 mai 1839, mais soudain le drapeau tricolore fut aperçu dans l'horizon. Les Français étaient venus réclamer les îles au même moment visiblement. Une course entre chaloupes s'effectua. Les Britanniques, plus rapides, parvinrent à poser pied les premiers, et accoururent planter l'Union Jack avant l'arrivée des Français. Dépité, les Français renoncèrent, non sans insulter les Anglois de "perfides bâtards". Les îles Comores étaient désormais sous l'autorité de la couronne et garantissaient un avant poste de plus sur la très précieuse route des Indes.

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Henry Folkord dresse l'Union Jack sur les plages des Comores sous les yeux emplis de sel des Français.

De l'autre côté de l'océan indien, le 2 décembre 1840 fut signé le traité de Waitangi sur le sol de Nouvelle-Zélande, entre les représentants de la couronne britannique et les chefs de la Confédération des Tribus unies de Nouvelle-Zélande ainsi que d'autres chefs tribaux māoris. Le traité fit formellement de la Nouvelle-Zélande une colonie britannique, les chefs maoris reconnaissant la suzeraineté de la reine Victoria et permettant aux colons britanniques de s'installer sur les îles. Cette opération diplomatique fut hâtivement menée afin d'empêcher les autres nations européennes, en particulier la France qui lorgnait dessus depuis quelques années, de revendiquer la propriété des îles. La Nouvelle-Zélande fut officiellement déclarée une colonie distincte de la Nouvelle-Galles du Sud le 23 octobre 1841, après que la compagnie de Nouvelle-Zélande eut racheté suffisamment de terres aux Maoris et fondé plusieurs colonies pour assumer le contrôle sur les îles nord et sud.

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La Confédération des Tribus unies de Nouvelle-Zélande et les officiels de la Couronne à Waitangi.

En Autralasie, la Nouvelle-Galles du Sud était témoin d'une vague impressionnante de colons venus de métropole. Entre 1790 et 1850, 200'000 de ceux qu'on appelait les Immigrants Libres d'Australie s'installèrent dans la colonie pour démarrer une nouvelle vie. La majorité étaient des agriculteurs ou des domestiques anglais qui surpasser en nombre les colons irlandais et écossais.

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Les Britanniques Libres arrivant dans la baie d'Holdfast, prêts à poser les premières pierres de ce que deviendra la ville d'Adélaïde.

Suivant les événements de la guerre (non déclarée) d’Aroostook, conséquences des rébellions canadiennes de 1837-1838, Westminster et Washington s'accordèrent pour mettre fin aux litiges frontaliers entre les Etats-Unis et la colonie du Canada. Le traité Webster-Ashburton de 1842, signé entre le Royaume-Uni et les États-Unis, délimita avec précision la frontière entre le Maine et le Nouveau Brunswick ainsi que le lac Supérieur et le lac des Bois (près du Wisconsin)), régit l'utilisation commune des grands lacs, réaffirma la frontière constituée par le 49e parallèle et lança un appel mutuel pour mettre fin au trafic d’esclave en Atlantique. Cette entente pacifique venait réchauffer les relations anglo-américaines de plus en plus cordiale depuis la dernière guerre de 1812, l'Amérique du Nord semblait finalement pacifier en 1842.

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Les nouvelles frontières entre le Maine et le Nouveau Brunswick.

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Le bombardement de St-Jean d'Acre par la Royal Navy le 3 novembre 1840.

The Oriental Crisis

En avril 1837, peu avant la mort du Roi, était survenue une crise de grande ampleur en Orient. Alors que la Grande-Bretagne exerçait une influence toujours plus forte sur les khédives d’Egypte, un conflit éclata entre ces-derniers et la Sublime Porte de Constantinople, leurs maîtres nominaux. En effet, bien que les Ottomans demeuraient les suzerains de l’Egypte et du Levant, cette dernière, sous la coupe du wali Méhémet Ali s’annonçait de plus en plus autonome et indépendante. Après la première guerre égypto-turque de 1831-1833, le Moyen Orient était divisé entre les sultans de Constantinople et leur puissant vassal du Caire. Ce statut affaiblissait le pouvoir et l’autorité des Ottomans, et conscient du danger, ces-derniers prirent les armes une seconde fois contre le gouverneur d’Egypte. Cependant, Méhémet Ali s’était rapproché de l’Angleterre entre 1836 et 1838, mais il restait pour le moins réaliste et savait pertinemment que Londres ne le soutiendrait jamais dans un conflit ouvert avec la Sublime Porte, qui constituait un partenaire commercial privilégié. C'est pourquoi le wali se tourna vers la France en 1838, qui lui promit armes, munitions et officiers pour former ses armées sur le modèle occidental. Pire, Paris affirma qu'elle était prête à intervenir militairement si la campagne contre les Turcs tournait au vinaigre.

Quand la nouvelle arriva à Westminster, un torrent s’abattit sur la Chambre des Communes. Il était hors de question pour les parlementaires présents dans cette salle de laisser la France planter ses griffes sur la Vallée du Nil, le souvenir de la campagne de Napoléon était encore vivace, et le danger qu’une Egypte française représentait pour la route des Indes était trop grand pour être ignoré. Aussitôt, un télégraphe fut envoyé à Paris demandant la neutralité de la France en Orient, mais nulle réponse ne parvint. Devant la pression ottomane et la progression du conflit qui allait en défaveur des Égyptiens, Melbourne décida en 1839 d’intimider la France par des exercices de la Royal Navy devant les ports militaires de l’hexagone. L’Admiralty déploya la Home Fleet au large de Brest tandis que la Mediterranean Fleet s’avança devant Toulon. Face à cette démonstration de force par la Navy, la France plia finalement et accepta de certifier sa neutralité.

Bien que des armes eurent été vendues, le soutien primitif français n’alloua pas la victoire à Méhémet Ali. De plus, l’entrée en guerre des Pays-Bas aux côtés de Constantinople après le naufrage d’une cargaison hollandaise près de la Crête, puis l’envoie d’un corps expéditionnaire britannique à Beyrouth, conjugué au bombardement de St-Jean d'Acre par la flotte de Méditerranée pour forcer les Alaouites à abandonner la Syrie mirent à genoux les espoirs d’un nouvel empire égyptien. La convention de Londres signée le 24 juillet 1841 entre le Royaume-Uni, l’empire ottoman, l’Autriche, la Russie, la Prusse et les Alaouites légiférèrent le statut de l’Egypte comme province de l’empire ottoman. L'Égypte renonça à la Crête, au Hedjaz et à la Syrie mais Méhémet Ali fut reconnu comme son vice-roi héréditaire. Celle-ci devait limiter sa production de coton et ouvrir ses ports aux produits britanniques. Un consulat devait être établi au Caire et une convention internationale compléta le traité en garantissant la neutralité des Détroits en temps de paix et l'interdiction de la mer de Marmara aux navires de guerre.

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Carte de l'Indochine en 1836.

" 'What is between Indian cotton and Chinese tea ?', 'Vietnamese rice' he answered."

En 1841, suite au traité de Nankin, la Compagnie des Indes Orientales s'était arrogée le droit de commercer avec les états d'Indochine avec les mêmes garanties économiques qu'en Chine. Une ambassade fut envoyée à la cour des empereurs de Siam et d'Annam. Si le premier accepta de négocier, le second refusa et fit décapiter le diplomate britannique. Cet affront fut perçu comme une déclaration de guerre par les autorités de la Compagnie qui exigèrent une réponse armée au Parlement. Lord Melbourne, de plus en plus décrié par l'opposition pour ses nombreuses guerres coûteuses, hésita mais le gouverneur général lord Auckland fit pression, avançant le prétexte de la défense du commerce, le même qui fut utilisé contre la Chine des Qing. De plus, il raconta les horreurs infligées au missionnaires par les empereurs d'Annam, ainsi que l'importance pour le Royaume-Uni de faire respecter les clauses du traité de Nankin dans son rôle de grande puissance, autrement ce rôle serait remis en question. Il paraissait évident que la Compagnie, parfaitement au courante de l’isolationnisme radical de l'Annam, était consciente en signant la 7e clause du traité de Nankin qu'elle n'obtiendrait ses droits que par la guerre. Mais Melbourne ne pouvait renoncer à l'Indochine maintenant que le traité était signé, surtout depuis l’exécution du diplomate anglais à la cour de l'empereur Thiệu Trị.

Le 15 mars 1842, un accrochage eut lieu entre deux frégates escortant des Indiaman et des jonques vietnamiennes. Cette escarmouche qui vit la moitié de la flottille indigène être coulée renforça la pression sur le premier ministre et galvanisa l’opinion publique en métropole qui demandait la guerre. Pour la dernière fois dans sa carrière, le premier ministre William Lamb Melbourne proposa un vote sur l'issu de la crise au Viet Nam. Malgré des protestations de l'opposition toujours plus influente, le vote pencha en faveur de la guerre. Le 16 mai 1842, le Royaume-Uni déclara la guerre à l'empire d'Annam.

Aussitôt, fut assemblé à Singapour une armada de 56 vaisseaux de guerre, comportant 54 bâtiments à voiles dont 13 navires de transports, 12 frégates et 29 vaisseaux de ligne, ainsi que 2 frégates à vapeur. Pendant ce temps, la Compagnie détacha 5 frégates et 2 canonnières avec un contingent de 716 fusiliers sous le commandement de George Campbell au large de Tourane le 6 juin. L'escadre bombarda les forts côtiers et débarqua le contingent qui prit la ville en quelques heures. Cet assaut surprise offrait une tête de pont à l'expédition britannique en Annam. Devant l'aisance avec laquelle ils avaient pris Tourane, les Britanniques s'attendaient à une victoire facile. Cependant, ils furent très vite assiégés pas une armée indigène considérable. Pris au piège dans la ville, le contingent ne pouvait plus qu'espérer l'arrivée de l'expédition pour le sauver.

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La prise de Tourane le 6 juin 1841.

En juillet, le commandant George Cambell chercha un autre point pour attaquer les Vietnamiens. Conscient que la garnison de la ville n'arriverait probablement à aucun succès décisif, il considéra la possibilité d'agir au Tonkin ou en Cochinchine. Il rejeta la possibilité d'une expédition au Tonkin et proposa à l'Admiralty une expédition contre Saïgon, une ville d'importance stratégique considérable comme source d'approvisionnement pour l'armée vietnamienne. L'expédition fut approuvée : George Campbell laissa le capitaine de vaisseau à James Dundas avec une petite garnison et deux canonnières, et mit à la voile pour Saïgon.

Le 7 juillet, la flotte de Singapour se mit en branle. Les voiles en direction de Saïgon, la flotte rencontra l'armada vietnamien, une multitude de jonques qui lui interdisaient le passage près de l'île de Con Dao. La bataille navale fut un jeu d'enfant pour la Royal Navy. Les navires de ligne firent exploser une douzaine de jonques, cinq fois plus furent coulées. Le HMS Conrwallis, hôte du traité de Nankin, poursuivit le vaisseau amiral de la flotte viet et le captura. Le désastre de Con Dao donna le contrôle des mers à l'Angleterre, maintenant libre d'intervenir sur le continent.

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Le HMS Nemesis, fleuron des navires à vapeur, neutralise à lui seul une demi-douzaine de jonques.

La flotte de Campbell fit jonction avec l'expédition. Le 17 juillet, après avoir forcé les défenses de la rivière et détruit une série de fortins et de retranchements le long de celle-ci, les Britanniques s'emparèrent de Saïgon. L'infanterie de marine anglaise prit d'assaut l'énorme citadelle de Saïgon, tandis que les troupes cipayes sous commandement britannique repoussaient une contre-attaque vietnamienne. Les Britanniques ne furent pas assez forts pour tenir la citadelle et le 8 août, ils la firent sauter et mirent le feu à ses réserves de riz. En septembre, George Campbell revint à Tourane avec le gros de ses forces pour renforcer la garnison de Dundas durement éprouvée, laissant l'armée royale diriger la campagne de Cochinchine depuis Saïgon. 3700 fusiliers britanniques, 5000 Cipayes et 1200 artilleurs équipés d'une batterie d'artillerie légère de campagne partirent en direction de My Tho. La ville fut prise le 25 août. Le lendemain, le général Charles Napier apprit que les Vietnamiens avaient mis le siège sur la garnison de Saïgon. A marche forcée, le commandant britannique arriva à temps pour engager l'assiégeant. La bataille de Ky Hoa opposa environ 10'000 Britanniques à 33'000 Vietnamien. La victoire fut anglaise. On déplora 12 morts et 255 blessés pour les Britanniques contre près d'un millier de pertes pour les Vietnamiens. La victoire de Ky Hoa sema la crainte d'une poursuite chez les officiers viet et ceux-ci décidèrent de se retrancher dans l'Annam et levèrent même le siège de Tourane, soulageant la garnison de Campbell.

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Les régiments Cipayes en première ligne à Ky Hoa.

Cependant Napier reprit la route du sud et s'empara du port de Vung Tau avant de revenir vers Ben Tre, Vinh Long, puis Can Tho qu'il fit tomber avec le soutien des canonnières sur le delta du Mekong. Bientôt le sud du Cochinchine fut fermement maîtrisé par les Britanniques qui remontèrent alors vers le Nord en direction de Phan Tiet. Campbell de son côté tenta une sortie vers Hoi An. La ville fut prise mais des mouvements de troupes vers Hué influencèrent les Britanniques à abandonner la ville et à se retrancher dans Tourane. La ville fut ré-assiégée le 2 novembre mais Campbell se retira une seconde fois quand on l'avertit que l'empereur en personne menait une armée sur Tourane. L'avant poste britannique fut fortifiée en attendant la tempête. Napier s'empara de la côte du Cochinchine nord quand il apprit la nouvelle de Campbell. Il envoya un tiers de son armée avec les Marines à bord de la flotte pour soutenir la garnison de Tourane.

Les renforts débarquèrent après un mois de siège. Une semaine plus tard, Campbell mena une sortie et repoussa les hommes de l'empereur le 14 janvier au prix de lourdes pertes, 489 morts et 768 blessés. L'armée d'Annam subit elle aussi une saignée, on dénombra environ 3000 morts et deux fois plus de blessés. Mais la victoire n'était pas décisive, l'armée de Campbell était incapable de poursuivre l'empereur Thieu Tri, ni de mener campagne dans le sud Annam. Heureusem*nt pour lui, l'empereur des Viet proposa des négociations de paix le 15 février 1843.

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L'héroïsme des Britanniques à Tourane le 14 janvier 1843.

Londres demanda à l'empereur de respecter la 7e clause du traité de Nankin mais aussi d'appliquer les autres : douanes, indemnités, extraterritorialité, ouvertures de plusieurs ports au commerce, nation la plus favorisée. Mais le gouverneur général de la Compagnie, lord Auckland, exigea également la concession de la province de Cochinchine. Thieu Tri refusa, mais Napier menaça de poursuivre la guerre et de raser la capitale, Hué. L'empereur plia et c'est ainsi que la Compagnie acheva son expansion sous l'ère Melbourne. Le premier ministre allait en effet connaître des heures sombres...

Spoiler:

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The People's Charter

Le 10 février 1840, dans la Chapel Royal du palais Saint James à Londres, la reine Victoria de Hanovre épousa son cousin, le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha. Contrairement à de nombreux mariages à l'époque, celui-ci reposait principalement sur des sentiments partagés et non des calculs dynastiques. Victoria était follement éprise d'Albert et elle passa la nuit après son mariage alitée avec une migraine, mais qu'elle décrivit avec extase dans son journal :

"JAMAIS, JAMAIS, je n'oublierai une telle soirée !!! MON TRÈS TRÈS CHER Albert… sa passion et son affection excessives m'ont offert des sensations d'amour et de bonheur divins que je n'aurais jamais espéré ressentir auparavant !"

Si certains qualifiaient l'amour de la reine d'utopique, d'autre employaient ce nouveau terme à la mode : idéaliste. Un mouvement philosophique vieux de 2000 ans et qui fut revisité au début du XIXe siècle par des philosophes tels Kant, Schopenhauer ou Hegel. A l'opposé de ce mouvement, les philosophes matérialistes comme le jeune Karl Marx demeuraient encore impopulaires, pour le moment...

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Mariage de Victoria et d'Albert, peinture de George Hayter, 1840.

Cependant, si la cour britannique semblait jouir du bonheur du couple royal, il n’en était guère pour les parlementaires. Le 14 avril 1840, un scandale éclata via une information torrentielle partagée par le journal du Times. Des rumeurs circulaient déjà depuis un certain temps, mais le journal publia finalement des preuves d'un scandale de grande envergure touchant le parti libéral britannique. Des candidats populaires auraient été impliqués dans la contrebande de marchandises illicites et auraient utilisé des tactiques douteuses pour acheter des votes lors des élections générales de 1838. Cela fut déclaré inacceptable même par les partisans libéraux et provoqua un énorme tollé en Grande-Bretagne, endommageant gravement la cause libérale dans la métropole. Une enquête fut menée par les autorités pour vérifier la véracité des accusations. De son côté, lord Melbourne dénonça un acte diffamatoire de la presse pro-conservatrice du Times.

Profitant certainement de l'occasion, le leader de l'opposition tory au parlement, lord Robert Peel, prononça le 22 avril un beau et convaincant discours dans la chambre des communes sur le devoir des parlementaires envers la nation britannique, n'hésitant pas à glisser çà et là des références piquantes aux accusations portées par le Times contre le cabinet des Whigs.

En décembre, une nouvelle ébranla les cœurs des voisins d'outre-Manche. Le corps de l'homme qui avait fait trembler l'Europe et plier ses têtes couronnées revint en France. Les cendres de Napoléon Ier, décédé en 1821 sur l'île de Sainte-Hélène, furent enterrées au Panthéon de Paris dans un grand cortège funéraire auquel assistèrent des dizaines de milliers de Français pleurant à chaudes larmes le retour de leur empereur. Le Royaume-Uni avait donné son aval au roi Louis-Philippe pour rapatrier les restes de l'empereur déchu sur le sol de France. Certains en Grande-Bretagne protestèrent vigoureusem*nt contre cette décision, la jugeant faible et ingrate envers les héros britanniques tombés au combat pour vaincre le démon de l'Europe. Mais Lord Melbourne était soucieux de préserver au minima un semblant de cordialité entre les deux anciennes rivales. La nouvelle se propagea rapidement dans le reste du continent puis dans le monde entier.

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L'arrivée de la Dorade à Courbevoie avec les cendres de Napoléon Ier le 14 décembre 1840, Félix Philippoteaux, 1867.

Pour calmer les ardeurs patriotiques de certains, le cabinet demanda au service de courriel britannique d'enfin lancer la production de sa nouvelle invention : le timbre postal. A l’effigie de la jeune reine Victoria, le Penny Black fut le premier timbre postal de l'histoire. Il fut émis le 1er mai 1840 au Royaume-Uni à l'initiative de Rowland Hill, pour un usage officiel dès le 6 mai, dans le cadre de la réforme du système postal britannique de 1839 destinée à faire désormais payer l'expéditeur plutôt que le destinataire. Cette réforme postale s’agissait de la plus importante des réformes postales menées jusqu'ici : à l'heure de l'industrialisation, elle fit passer de l’Ancien Régime au monde contemporain le transport des lettres, en instaurant simultanément un abaissem*nt considérable du prix du courrier et son paiement anticipé. Le timbre postal en fut donc l'élément le plus visible, et le portrait de Victoria commémora le début de cette nouvelle poste qui se propagea très vite au reste du monde, illuminant de prestige et d'innovation le Royaume-Uni, encore une fois.

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Le premier timbre postal du monde, le Black Penny, 1840.

L'année suivante, le 14 février 1841, un autre scandale vint s'ajouter sur le dos des Whigs. Le chancelier de l'échiquier, Thomas Spring Rice aurait usé des fonds publics de son borough pour spéculer sur des investissem*nts dans le rail en Belgique. L'affaire entacha gravement l'image du cabinet, déjà salie par l'affaire des fraudes électorales, contraignant Melbourne à demander à Thomas Spring d'annoncer sa démission au Parlement.
Une bonne nouvelle cependant fut la parution d'un pamphlet le 12 mars contre le conservatisme rétrograde des ultra tories qui se vendit à des milliers d'exemplaire partout en métropole. L'éloge des idéaux libéraux dans ce texte rehaussa la côte de popularité du cabinet Melbourne, du moins pour un temps...

En 1842, alors que les essais d'une nouvelle locomotive à vapeur portèrent leur fruit, démarrant une production fulgurante de ce nouveau modèle plus performant, un mouvement social prit tellement d'ampleur qu'il émeut la société britannique au plus profond de son âme. Tout commença en 1838 lorsqu'un londonien radical du nom de William Lovett publia son projet de loi "La Charte du Peuple" et le présenta à un meeting de 200 000 ouvrier à Glasgow en mai. Il contenait six revendications: suffrage universel pour tous les hommes à partir de 21 ans, des circonscriptions justes et égales (pas de bourgs pourris, des sièges pour les villes nouvelles), vote à bulletin secret, abrogation de l'obligation d'être propriétaire comme condition d'éligibilité, une indemnité parlementaire pour permettre aux travailleurs de siéger et de pouvoir vivre, et des élections législatives annuelles. Sans le savoir peut être, William Lovett avait donné naissance à un mouvement ouvrier sans précédent : le Chartisme.

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Démonstration chartiste lors du meeting de Glasgow en mai 1838.

Le chartisme était le premier mouvement à la fois de caractère ouvrier et d'envergure nationale issu de la protestation contre les injustices du nouvel ordre industriel et politique en Grande-Bretagne. Composé de travailleurs, le chartisme se mobilisait également autour du populisme et de l'identité clanique. Le mouvement était au milieu de la dépression économique de 1837-1838, lorsque le chômage élevé et les effets du Poor Law Amendment Act de 1834 se faisaient sentir dans toutes les régions de Grande-Bretagne. La charte de Lovett offrait un programme acceptable pour une population ouvrière hétérogène. Le mouvement avait pris de l’importance nationale sous la direction vigoureuse de l’Irlandais Feargus Edward O’Connor, qui avait une tournée électorale en 1838 en faveur des six points. Tandis qu'une partie de la population irlandaise massive en Grande-Bretagne soutenait le chartisme, la plupart étaient consacrées au mouvement d'abrogation catholique de Daniel O'Connell.

Une convention chartiste se réunit à Londres en février 1839 pour préparer une pétition à présenter au Parlement. Des «mesures ultérieures» étaient menacées si le Parlement ignorait les demandes, mais les délégués différaient dans leurs degrés de militantisme et sur la forme que devraient prendre les «mesures ultérieures». En mai, la convention s'était déplacée à Birmingham, où des émeutes avaient conduit à l'arrestation de ses dirigeants modérés Lovett et John Collins.

Le croupion de la convention était revenu à Londres et avait présenté sa pétition en juillet. Le Parlement la rejeta sommairement. Il s'en était suivit en novembre d'une montée armée de la «force physique» chartiste à Newport, qui fut rapidement supprimée. Ses principaux dirigeants avaient été bannis en Australie et presque tous les autres dirigeants chartistes avaient été arrêtés et condamnés à une courte peine de prison. C'est alors que les Chartistes commencèrent à mettre l'accent sur une organisation efficace et des tactiques modérées.

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Sir Robert Peel, leader de l'opposition conservateur et farouche adversaire de lord Melbourne, un tableau par Henry William Pickersgill

Trois ans plus tard, en 1842, une deuxième pétition nationale contenant plus de trois millions de signatures fut finalement présentée, mais le Parlement refusa de nouveau de l'examiner. La colère commença à gronder sérieusem*nt en métropole alors que le Melbourne perdait de plus en plus de soutien au Parlement. En effet une motion de censure habilement orchestré par Robert Peel fit perdre 77 sièges aux Whigs après le succès du vote et des élections conséquentes qui suivirent. En nette infériorité, le parlement s'enfonçait dans une impasse, immobilisé par l'opposition conservatrice qui bloquait toutes les décisions émises par le cabinet Melbourne. La guerre d'Annam fut la dernière mesure prise par le premier ministre.

Empêtré dans une véritable crise politique, le destin du second cabinet Melbourne fut scellé à la fin de l'année. L'enquête sur l'affaire des fraudes électorales et des détournements de fonds du parti par la presse britannique mit en lumière un certain nombre de faits intéressants. Il semblait que l'abus de pouvoir et d'influence allait bien au-delà de ce qui avait été initialement révélé. Seule la surface de cette affaire avait été touchée jusqu'à présent, et Dieu ne sait que ce qui allait se produire dans les prochaines semaines. Personne en Grande-Bretagne ne semblait discuter de quoi que ce soit d'autre pour le moment, et la presse demandait déjà au gouvernement britannique de démissionner, soutenue par le mouvement chartiste qui organisa de grands meetings dans les villes industrielles de Grande-Bretagne.

Alors que de plus en plus de preuves contre le parti au pouvoir étaient apparues, le gouvernement britannique déclara finalement le 10 octobre 1842 qu'il n'avait plus d'autre choix mais de démissionner et de démarrer de nouvelles élections. La décision fut prise après plusieurs semaines de débat houleux, et il était déjà bien connu que certains membres du gouvernement - les plus durement touchés par le scandale comme Thomas Spring - avaient été répudiés par le parti au pouvoir et ne chercheraient pas à être réélus. Les élections commencèrent le 22 décembre. Une violente campagne s'effectua entre les deux partis, mais les nombreux scandales qui avaient entaché le parti libéral furent décisifs. Les résultats furent annoncés le 24 juin 1843. Pour la première fois depuis 13 ans, les Tories devaient constituer un gouvernement au service de sa majesté la reine Victoria du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande. Le candidat du clan conservateur, sir Robert Peel, fut appointé premier lord du trésor par sa majesté. Ce-dernier forma son gouvernement avec deux anciens premiers ministres, lord Goderich et le duc de Wellington en personne, tous deux conservateurs, mais il inclut aussi de nouvelles têtes très prometteuses comme Lord Stanley de Derby, le earl d'Aberdeen Georges Hamilton et un jeune écossais du nom de William Ewart Gladstone...

L'élection du nouveau cabinet conservateur faisait espérer chez les Chartistes l'application des 6 points de la Charte du Peuple qui leur avait été refusée par le précédent gouvernement. L'avenir allait leur servir un goût bien amer...

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